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Contes & Légendes

La randonnée de Léon

     La tempête grondait fort dehors. Le bruit du tonnerre roulait en écho sur les montagnes, relayé par la vallée. La pluie tombait en rideau et Léon ne voyait pas à un mètre de ses pas. Ses jambes épuisées de fatigue soulevaient difficilement ses pieds lourds de boue et de feuilles collées sous ses chaussures. Vêtu seulement d’un tee shirt et d’un pantalon léger, il ne pensait pas qu’en plein été, une tempête digne d’un automne rigoureux allait survenir. Surpris alors qu’il s’avançait vers le col de la montagne, il avait glissé sur une pente abrupte détrempée, avait perdu son sac à dos, toute sa nourriture, sa bouteille d’eau et sa boussole. Il avançait tant bien que mal dans la nuit que créait la tempête en plein jour. Seuls la lueur des éclairs lui montrait l’environnement dans lequel il cheminait. Par moment, des formes effrayantes se dessinaient, créées par des souches d’arbres et autres buissons dégarnis. Léon essayait de garder son calme, mais la panique commençait à le saisir. Soudain, un coup de tonnerre plus puissant encore que les précédents, se fit entendre ! Léon pris par la surprise et la fatigue sursauta et glissa de tout son long contre un grand pin que la tempête avait déraciné. Il s’écorcha le bras qui saignait, avait déchiré son pantalon…Léon commençait à pleurer de peur, de fatigue, de faim…toujours allongé contre l’arbre, dans la lueur d’un éclair, il aperçut au loin une forme semblable à celle d’un grande demeure. L’espoir de pouvoir trouver un toit et un feu de cheminée l’aida à se relever. Léon saisit dans ses ressources les plus lointaines des forces pour marcher jusqu’à ce qui se révéla être un immense château. Arrivé à la porte d’entrée, il souleva tant bien que mal la lourde masse pour frapper et se manifester à l’habitant. Des minutes interminables s’écoulèrent, et aucune réponse. Léon se dit que le bruit du tonnerre avait dû couvrir le son. Il entrepris de crier fort pour se faire entendre, mais toujours rien. Alors Léon pris sur lui et décida de pousser la lourde porte de bois vermoulue par le temps. Dans un grincement effroyable, la lourde porte s’ouvrit pour lui laisser le passage. Il s’avança, se prenant le visage dans des toiles d’araignées. Les tentures des murs étaient pour certaines déchirées, pour d’autres décolorées. Léon avait l’impression de se retrouver dans ces contes que l’on raconte aux enfants pour leur faire peur. Respirant profondément, il se dit que rien ne pouvait être pire que ce qu’il venait de vivre, et décida de ne pas écouter la peur qui voulait prendre le dessus. Son courage retrouvé, il continua de s’avancer dans le long corridor de l’entrée, et se retrouva dans une immense salle où une chandelle brûlait paisiblement à côté d’un immense fauteuil. Assis tranquillement, un vieillard y lisait un énorme livre. Il tournait les pages avec une extrême précaution. Léon s’approcha de l’homme sans rien dire. Il était captivé par l’infinie douceur qui émanait de ce petit bonhomme chétif. Léon qui était plutôt d’une nature à aimer un environnement maîtrisé, qui ne laissait pas de place au hasard, il avait laissé sa nature instinctive de côté. Depuis qu’il avait entamé cette ballade pour arriver au sommet de cette montagne, de toute façon, rien ne se passait comme il avait toujours décidé.

  • « Pardon de vous déranger monsieur » dit Léon d’une voix presque inaudible tellement il ne voulait pas déranger la sérénité de cet homme.

  • « ne vous inquiétez pas mon garçon » dit l’homme, « un peu de visite de temps en temps est la bienvenue »

Il se tourna vers Léon et lui adressa un sourire. Léon qui s’était avancé près de l’homme, était maintenant assez proche pour remarquer que malgré le visage marqué par les ans, les yeux bleus pétillants du vieillard dénotaient totalement, et laissaient apercevoir une malice et une douceur infinie, au-delà de tout âge.

  • « j’étais en train de randonner pour gravir le pic de l’aigle, quand je me … » il n’eut pas le temps de finir sa phrase que le vieillard poursuivi pour lui

  • « …vous êtes fait surprendre par l’orage ! »

  • « et bien je…euh, oui » répondit Léon, les joues rosées, presque honteux de s’être fait avoir.

  • « voyons mon enfant, ce n’est rien, les expériences forgent le caractère ! et puis, les étrangers à ces lieux ne savent pas que très souvent à cette période, les orages éclatent ! un peu comme pour les mettre à l’épreuve et voir s’ils veulent vraiment y monter » dit-il rieur !

Tout en parlant, le vieillard avait posé son gros livre sur la table à côté du fauteuil, s’était levé, avait pris à la main le chandelier, et s’approchait de Léon.

  • « dites, auriez-vous… » commença à demander Léon. Mais le vieil homme ne lui laissa pas finir sa phrase et poursuivit …

  • « mais cela faisait longtemps qu’un randonneur n’avait trouvé ce château. Racontez-moi un peu votre parcours si vous le voulez bien »

Léon se dit qu’il n’avait peut être pas une très bonne vue, et n’avait donc pas remarqué que son bras écorché méchamment par l’arbre, saignait toujours. Mais il se dit qu’il ne pouvait abuser de l’hospitalité de l’habitant, et qu’il était déjà au sec, à l’abris de la foudre et des éclairs, et que c’était déjà très bien ainsi. Aussi, sans plus prêter attention ni à son bras ni à ses genoux écorchés, il tendit spontanément son bras valide pour faire un appuie au vieil homme. Celui-ci posa sa main sur le bras de Léon et, comme d’un geste naturel, comme s’il connaissait Léon depuis toujours, il l’invita à passer dans l’autre pièce. Léon suiva, et commença donc à raconter son parcours au vieillard :

  • « j’avais besoin de m’éloigner de la foule humaine et stressante de la ville, alors pendant quelques jours, je me suis dit qu’une randonnée en pleine montagne, voir les animaux sauvages et la beauté des paysages, me ferait le plus grand bien. Quand je suis parti de chez moi, en réalité, je ne savais pas du tout où j’allais atterrir, je n’avais pas pris d’itinéraire particulier, je savais juste que j’avais besoin de calme… »

  • « comme je vous comprends jeune homme. Les humains sont tout le temps stressés, pensant qu’ils n’ont pas le temps, mais en réalité, croyez-moi, ils courent après le temps, et le perdent, et vous savez pourquoi ? »

  • « eh bien, …non, dites-moi ! »

  • « mais parce qu’ils ne sont jamais dans le présent ! les uns passent leur vie dans le passé, par les regrets, la nostalgie, le doute même, d’avoir mal fait ! quand les autres courent après le futur, pour toujours plus maîtriser leur vie !!! mais en réalité, regardez, aucun ne vit dans le présent n’est-ce pas ? »

Ces paroles d’une simplicité enfantine faisaient écho dans la tête de Léon, et il se dit que cette analyse de l’humain n’était que trop vraie !

  • « n’oubliez jamais ceci mon ami : le temps ne compte pas, mais le temps est précieux ! celui qui court pour réussir dans la Vie devra revenir jusqu’à saisir l’importance profonde de la manifestation »

Tout en parlant, les deux hommes s’étaient avancés dans l’autre pièce où une douce lueur brillait : celle d’un feu de cheminée.

  • «  et bien mon ami, voyez comme il fait bon d’être à côté d’un feu de cheminée quand on a été brassé par les éléments extérieurs ! asseyez-vous, je vous en prie » dit-il d’un geste de la main, invitant Léon à s’asseoir dans le canapé proche de la cheminée.

  • « je vous remercie monsieur, il est vrai que j’ai été surpris par la tempête et je n’étais pas habillé en conséquent. Ce feu de cheminée est une vraie bénédiction, je vous le concède ! ».

Léon pris place dans le grand canapé, et le vieil homme s’assit, en face de Léon, dans un immense fauteuil, semblable à celui de l’autre pièce.

Aucun d’eux ne parlait. On pouvait entendre au loin, comme un bruit sourd, celui de l’orage qui menaçait toujours dehors. La pluie frappait les grandes vitres, mais c’était comme dans une autre dimension, comme si les mouvements des éléments restaient dehors, jusqu’à leur son même ! Léon était là, sans penser, appréciant l’instant présent de la douce chaleur enveloppante du feu.

Le vieil homme sourit et dit dans un petit rire :

  • « je vois que vous commencez à saisir ce que le présent veut dire n’est-ce pas ? »

Léon surpris, lâcha un éclat de rire, tellement il ne se reconnaissait plus. Lui qui avait toujours était stressé pour être toujours le meilleur, toujours parfait, toujours mieux !  il était là aujourd’hui, et plus rien d’autre ne comptait que la chaleur de ce feu dont les flammes joyeuses, dansaient dans l’âtre.

  • « en effet ! à vos paroles, je prends conscience que tout ce que je vivais n’avais pas de sens. C’était comme tourner en rond au pied de la montagne, sans s’en rendre compte, et sans jamais lever le nez pour voir que le chemin était l’ascension, pour découvrir le soleil qui brille au sommet »

Le vieil homme hocha la tête en signe d’approbation. Léon le regarda, et vit qu’il avait la main posée sur le même gros livre que celui de la pièce d’à côté. Sans même laisser le temps à Léon de se questionner, le vieil homme lui demanda :

  • «  et finalement, vous avez choisi de lever la tête et d’aller voir le soleil au sommet de la montagne ? »

  • « oui » répondit Léon dans un sourire, « mais j’avoue que le soleil n’est pas forcément au rendez-vous de toute ascension…en tout cas pas de la mienne » dit-il riant.

  • « oh, vous savez, je ne connais pas grand monde qui ne soit venu dans ce château, n’ayant pas été écorché par l’ascension… d’ailleurs vous ne faites pas exception » dit-il, pointa du doigt le bras de Léon qui saignait toujours.

  • « oui, oh vous savez, ce n’est pas grave, je ne suis pas mort, c’est l’important ! »

  • « prenez dans le tiroir du meuble à côté de vous, vous trouverez de quoi vous soigner. » lui dit le vieil homme.

« et puis, vous savez, » poursuivit-il, « la mort n’est qu’une illusion pour celui qui ne sait pas voir »

Léon avait sorti une trousse de pharmacie et tout en prenant les compresses, il leva la tête, interrogateur, face au vieil homme

  • « oui jeune homme, tout ceci n’est qu’illusion n’est-ce pas ?  l’apparence physique n’a guère d’importance si ce n’est que c’est un véhicule qui nous permet de venir faire des expériences. Et lorsque celui-ci n’est plus valide, et bien, quelle plus belle idée que d’en changer pour pouvoir continuer ? »

  • « oui, vu sous cet angle… »

  • « ah oui, vu sous cet angle c’est plus facile d’accepter ce que l’humain appelle la mort ! » dit-il le regard plein de malice.

Un silence se fit, laissant place au crépitement du bois dans la cheminée. Puis le vieil homme dit :

  • « oh, zut, je voulais lire mon livre, mais j’ai oublié mes lunettes dans la pièce à côté… »

Il commençait à prendre appuie sur les accoudoirs du fauteuil quand Léon se leva, laissant tomber son soin du bras, et dit :

  • « laissez-moi y aller, si vous le voulez bien. Je peux bien faire ça pour vous ! »

Le vieil homme sourit et d’un signe de tête, consenti à laisser Léon aller chercher ses lunettes. Il se rassit alors dans son fauteuil, et posa son sourire malicieux dans le creux de sa main.

Léon avait facilement retrouvé la salle, malgré l’immensité du château. Il arriva près du fauteuil, reconnu la table sur laquelle était posé le chandelier et le gros livre et….mais oui, le gros livre n’y était plus… Léon saisit les lunettes et, perplexe de cette bizarrerie, revient auprès de la cheminée. Il tendit les lunettes au vieil homme :

  • « voici vos lunettes monsieur »

  • « merci mon enfant » répondit-il

Léon était toujours étonnée, car il ne lui avait pas semblé que le vieil homme ait pris cet énorme livre sous le bras…en plus du chandelier !! Il se repassait la scène, quand un gargouillement résonna dans la pièce…le vieil homme leva la tête en direction de Léon qui rougissait…c’était son ventre qui criait de faim !

Le vieil homme sourit et dit :

  • «  et bien, on dirait que vous n’avez rien avalé depuis des jours ! »

Tout penaud, Léon n’avait en effet pas mangé depuis la veille, car parti tôt le matin, il avait pensé prendre son petit déjeuner sur le chemin, et apprécier son sandwich du midi au sommet, contemplant la vue que lui offrirait la nature. Mais les événements en avaient décidé autrement, et très vite après être parti, Léon avait été surpris par l’orage, avait glissé dans le ravin, s’accrochant aux branches pour ne pas tomber dans la rivière, mais avait dû y laisser tomber son sac à dos – et donc son repas – pour pouvoir remonter sur le chemin.

  • « en effet, je ressens quelque peu la faim » dit Léon

  • « Souhaitez-vous que nous passions alors à table mon ami ? » lui dit le vieil homme

  • « je ne veux pas bousculer vos habitudes, ni m’imposer vous savez. » répondit Léon

  • « ne soyez pas ridicule mon enfant, votre compagnie m’est agréable »

  • « alors dans ce cas, ce sera avec joie que je prendrais une tartine de pain… laissez-moi mettre le couvert et préparer le repas alors si vous le voulez bien » dit Léon dans un sourire, la main sur le ventre pour retenir un autre gargouillis.

Le vieil homme sourit, se leva, et, sans dire un mot, invita Léon à le suivre auprès de la grande table qui était derrière le canapé.

  • « asseyez-vous jeune homme »

Léon obéit, le vieil homme s’assit à côté de lui, et dans un claquement de doigt, comme par magie, la table se dressa de tous les mets les plus raffinés. Des bougies éclairaient la pièce, laissant le visiteur découvrir la majestuosité du lieu : les murs étaient recouverts de peintures symboliques aux dorures les plus fines, les rideaux semblaient être de soie, les tapis d’une douceur infinie venaient proposer un repos pour les pieds endoloris des marcheurs, et le sol était couvert de carreaux de porcelaine fine. Les vitres laissaient maintenant passer les rayons d’un soleil radieux, et les oiseaux chantaient sur les rebords des fenêtres…

Léon ouvrit des yeux ronds d’étonnement.

Le vieil homme riait aux éclats, et ses yeux bleus remplis de douceur regardaient Léon qui n’en revenait pas !

  • « servez-vous mon ami, vous l’avez bien mérité ! »

Léon ne savait comment remercier son hôte, et sans même toucher au repas, lui demanda :

  • « mais comment est-ce possible ? qui êtes-vous ? comment faites-vous cela ? »

Le vieil homme souriait toujours et dit à Léon

  • « le Père veille sur ses enfants mon ami. Pour celui qui franchit les épreuves, les récompenses sont là ! tenez, prenez donc ce livre… »

Il tendait à Léon l’énorme livre qu’il avait auprès de la cheminée.

Léon lu le titre : Les lois du Père

  • « allez mon Fils, mangez, et vous irez ensuite porter le message de ce livre dans le monde. »

 

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Morale de l’histoire :

 

Pour celui qui sait être humble, traverser la tempête, garder espoir quoiqu’il arrive, et apprendre à vivre dans le présent, le Père l’accueille en sa maison, pour qu’ensuite, l’être devienne le messager du Père parmi ses frères toujours dans la vallée.

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